Wilson Tarbox is an Art Historian, Critic and writer based in Paris, France.

Revue Noire — Histoires Histoires à la fin de l’histoire

Revue Noire — Histoires Histoires à la fin de l’histoire

Soirée de lancement de Revue Noire - Histoire Histoires, le 27 septembre 2020 en présence de Yann Bellet (modérateur), Simon Njami, Jean Loup Pivin et l’artiste Josèfa Ntjam. Cette dernière a tenu des propos critiques à l’égard et la revue lors de son intervention. Photo: Wilson Tarbox

Recension de Jean Loup Pivin, Simon Njami, Pascal Martin Saint Leon, Bruno Tilliette, Revue Noire - Histoire Histoires - History Histories, Paris, éditions Revue Noire, 2020


Pendant presque une décennie – de 1991 à 1999 – Revue Noire a changé indéniablement la perception de l’art contemporain africain dans l’imaginaire occidental. Fondée par Jean Loup Pivin, Simon Njami, Pascal Martin Saint Leon et Bruno Tilliette, Revue Noire n’a eu de cesse de déjouer certains poncifs à travers sa présentation novatrice de la production culturelle africaine. La plupart des arguments de ses auteurs sont structurés autour d’un axe géographique, se concentrant sur certains pays ou villes africaines et leurs diasporas dans des villes européennes. Cette structuration a pour effet de mettre en scène la grande diversité et la variété des productions culturelles présentes sur le continent africain. Rassemblant des formes et des médias aussi divers que la peinture, la sculpture, l’architecture, le cinéma, la danse, la littérature, la photographie, la mode et le design, Revue Noire écarte les questions sociales à l’exception notable d’un numéro 19 spécial consacré à la lutte contre le SIDA.

Un livre récent, Revue Noire - Histoire Histoires - History Histories revient sur ses huit ans et ses trente-cinq numéros d'existence sous la forme d’une anthologie. Son format, dense et richement illustré, rappelle celui d’un catalogue d’exposition. Organisé en trois sections aux longueurs inégales – « Généalogie d’une pensée », « Numéros & Dossiers » et « La Fabrique » - respectivement signées par ses quatre fondateurs, Histoire Histoires révèle les idées, les sujets et les coulisses de ce projet éditorial. Ce qui se dégage du livre est l’image d’une revue qui est d’abord et surtout un produit de son époque, une époque que l’on pourrait qualifier de « fin de l’histoire ».

L’expression fait allusion à « The End of History ?»1 , essai du politologue américain Francis Fukuyama, développé et élargi sous une forme livresque en 1992, l’année après l'effondrement de l’Union Soviétique. Sa thèse reprend l’idée de la dialectique hégélienne que Karl Marx avait appliquée à l’étude de l’histoire pour prédire le triomphe final du communisme. Mais, en 1989, date de parution de la première version de l’essai dans The National Interest, Fukuyama observe l’inverse : les régimes communistes reculent partout dans le monde tandis que le capitalisme libéral gagne du terrain. Il conclut donc que la démocratie libérale et l’économie de marché n’auraient bientôt plus d’entraves pour satisfaire à elles seules une nouvelle ère de paix qui serait, selon lui, l’étape ultime de la civilisation humaine. La fin de l'histoire ne signifie pas, selon Fukuyama, la fin des conflits, mais plutôt la suprématie absolue et définitive de l'idéal de la démocratie libérale, lequel ne constituerait pas seulement l'horizon indépassable de notre temps mais se réaliserait effectivement. Cette idéologie « fin de l’histoire » imprègne les productions culturelles de cette époque et Revue Noire ne fait pas exception.  

À la fin des années 1980, au moment où ses fondateurs situent les origines spirituelles de la revue, les politiques néolibérales mises en place par Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans leurs pays respectifs règnent en maîtres. Dans les décennies qui suivront, l'hégémonie néolibérale s’exprimera avec encore plus de virulence dans la célèbre allocution de Margaret Thatcher « Il n'y a[vait] pas d'alternative »2. En France, les ambitions réformistes keynésiennes de François Mitterrand sont balayées dès 1983 à l’issue de son « tournant de la rigueur ». La chute du Mur de Berlin à quelques mois de la parution de l’article de Fukuyama, puis l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991 (année de parution du premier numéro de Revue Noire) semblent dans un premier temps prouver la justesse des propos de l’auteur. Ces événements marquent le début d’une période d'hégémonie incontestée des États-Unis sur le reste du monde, dont l’influence a été indéniable dans la ligne éditoriale et dans l’approche méthodologique de Revue Noire bien que le pays nord-américain n’est guère mentionné dans ses numéros. 

Ce texte propose d'interroger la manière dont le contexte politico-culturel d’hégémonie libérale états-unienne, ce zeitgeist, ressurgit dans les orientations idéologiques de Revue Noire. Une première idée se dégage à la lecture d’Histoire Histories : on y décèle une tension entre d’un côté l’apparent souhait de valorisation de la production culturelle africaine, de l’autre une certaine méfiance – voire un mépris – envers l’approche des mouvements d'émancipation et d’autodétermination collectivistes et anticoloniaux.

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